Message du 31 août 1992





(Au messager et à son frère spirituel)

Mes chers enfants,

Tous vos amis du Ciel s’unissent à moi pour vous adresser, par ces lignes, quelques conseils de première importance pour votre vie spirituelle. Suivez-les bien car ils vous éviteront de tomber dans le piège de deux séductions spirituelles redoutables : la fausse humilité et la fausse perfection, et ils vous conduiront sur les chemins de la vraie charité.

Votre foi, mes enfants, doit être pure et ne dépendre de rien, si ce n’est de votre amour pour Dieu, moteur de votre obéissance à l’Église et à votre directeur spirituel. Quant à votre activité apostolique, elle doit suivre rigoureusement les même règles sans se préoccuper des jugements et critiques parfois acerbes des uns ou des autres.

Œuvrez, mes enfants, toujours avec amour. Demeurez doux et patients, et ne vous mettez jamais en colère. Montrez toujours envers les méchants une immense charité, vous rappelant alors les paroles de Notre-Seigneur : « Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font ! » (Lc 23, 34)

En dépit du bien que vous ferez, vous serez critiqués, même par vos parents et amis les plus proches, parce que, vous mettant au service de Notre-Seigneur, vous n’entrerez plus forcement dans les moules où ils voudraient vous faire entrer, et vous ne vous plierez plus à leurs propres exigences, mais à celles de notre Maître. Ils communiqueront alors à d’autres leurs jugements défavorables à votre endroit et les convaincront par de nombreux arguments que vous êtes dans l’erreur. Ils feront eux-mêmes valoir leurs titres et leur position, prendront conseil auprès de prêtres ou de personnes qu’ils jugeront compétentes, en ayant bien soin, par excès de charité, de préciser qu’il s’agit là de « leur propre point de vue ».

Par acquis de conscience, ils demanderont même à être éclairés devant le Saint-Sacrement et dans leurs communions, et ils croiront l’être parce que le Démon mettra dans leur cœur trop orgueilleux une fausse paix, comme celle que ressentent les hommes lorsqu’ils sont dans l’opulence. Cependant, je peux vous l’affirmer, ils ne seront pas dans les dispositions requises pour recevoir la vérité, car toute forme d’orgueil fait obstacle à l’amour de Dieu et à sa grâce.

Celui qui veut être pauvre ne va pas placer son argent à la banque avant d’aller vivre parmi les pauvres. Il se dépouille d’abord de tous ses biens. De même, celui qui veut regarder son prochain en vérité ne commence pas par amonceler en son cœur critiques et jugements personnels, mais, au contraire, il se dépouille de tout ce qui peut noircir son prochain de quelque façon que ce soit. Ensuite seulement, il peut être éclairé.

Relisez, mes enfants, le passage de Paul sur la charité (cf. 1 Co 13, 1-13) et vivez ces paroles intensément. Que votre cœur reste pur et bon, exempt de préjugés et tourné vers les autres avec amour. Et, s’il vous arrive d’être tentés de juger votre prochain, sachez immédiatement vous tourner vers Notre-Seigneur, lui qui est tout amour et toute miséricorde, et lui demander de vous éclairer. Sans doute vous renverra-t-il à vous-mêmes et à vos propres imperfections, et vous comprendrez alors combien toute pensée contraire à la vertu de charité dirigée vers votre prochain est un péché grave.

L’oubli de soi, mes chers enfants, et le détachement de toute chose et de tout être sensible reste indubitablement le moyen le plus sûr de cheminer vers le Ciel. Le véritable amour – vous pouvez à présent le comprendre – ne peut s’exprimer que dans un cœur vierge d’affections terrestres, c’est-à-dire un cœur qui sait seulement aimer, souffrir et pardonner, un cœur qui ne connaît ni la haine, ni la colère, ni la critique, ni la jalousie. C’est un tel cœur, purifié de toute forme d’égoïsme, qu’il convient que vous possédiez si vous voulez vivre la sainteté dans le monde.

À tous ceux et toutes celles qui aspirent à un tel état de sainteté, je dirai ceci : vous auriez beau vous rendre quotidiennement à la messe et y recevoir la sainte communion, passer vos journées en prière, donner tout votre argent aux pauvres et vaquer à mille œuvres charitables, si vous ne vivez pas dans l’oubli de vous-mêmes, votre charité ne sera jamais purifiée de la part d’égoïsme et d’amour-propre que vous portez en vous, et vous n’atteindrez jamais la véritable perfection que Dieu vous invite à vivre.

Si vous désirez vivre de sainteté en amour et en vérité, ne vivez pas l’Évangile à la manière des Pharisiens. Ne pensez pas : « Je vais me mettre à la dernière place pour que le maître de maison remarque combien je suis humble », mais au contraire : « Je vais occuper cette place parce que c’est la seule qui, à la lumière de la perfection, puisse me convenir ». Ne pensez pas : « Je suis méprisé par les hommes, je ne suis pas considéré à ma juste valeur », mais pensez plutôt : « J’ai certainement encore beaucoup de chemin à parcourir avant que de mériter d’être apprécié à la lumière de la perfection ». Ne pensez pas : « Je vais tout mettre en œuvre pour me faire aimer des autres », mais bien : « Je vais tout mettre en œuvre pour aimer les autres de la façon dont Notre-Seigneur lui-même veut que je les aime », car la première attitude vous couperait de la vraie charité : elle vous pousserait à mater vos défauts non point pour être agréable à votre Père du Ciel et à tous vos frères sans exception, mais dans le simple but de gagner l’estime ou l’affection de personnes de votre choix.

L’échec de votre entreprise ne manquerait pas de stimuler en vous l’orgueil et l’amour-propre, moteurs de vos agissements, et de susciter alors critiques, jugements, emportements, colère, envie, jalousie, médisance – et j’en passe – car tout amour-propre blessé est capable de déchaîner l’Enfer ! Cela vous serait une bonne leçon sur la perfection de vos sentiments.

S’il vous arrive de subir des critiques sur votre manière personnelle de penser, de parler ou d’agir, et que ces dernières provoquent en vous vexation, colère, énervement, c’est vraisemblablement parce que votre orgueil et votre amour-propre auront, une fois encore, été blessés : on aura sans doute porté atteinte à la haute estime que vous avez de vous-même, et il vous faudra, dès lors, faire des efforts pour vous débarrasser promptement de votre orgueil et mettre un frein aux réactions désagréables que vous aurez alors tendance à faire subir à votre entourage. Toute forme d’impatience ou d’emportement, toute forme de susceptibilité, toute forme de jugement est signe que le « vieil homme » (cf. Col 3, 9) n’est pas encore mort à lui-même. Celui qui accueille Notre-Seigneur dans son cœur le doit laisser y agir à sa guise et y guérir toutes les blessures et toutes les imperfections qu’y a accumulées le passé. Alors, lorsqu’il est frappé sur la joue droite, étant mort à lui-même, il se tait et laisse Notre-Seigneur présenter aussi l’autre joue. Et si ce n’est plus sa propre personne qui est visée mais Notre-Seigneur qui est attaqué à travers elle, il plonge dans l’immense mystère de Rédemption son cœur meurtri d’amour.

Mes chers enfants, vous qui comprenez ces paroles, vivez de sainteté afin que ce soit plutôt la bonté et la charité de Notre-Seigneur en vous que le monde critique ! Alors, réjouissez-vous, car c’est en laissant Notre-Seigneur habiter en vous que vous devenez ses véritables disciples. Efforcez-vous de poursuivre votre route dans l’humilité, souffrant de voir combien Notre-Seigneur reste le Grand Incompris de ce bas monde ! Ne vous laissez accaparer par personne, et si des amis vous reprochent de ne pas leur consacrer assez de temps, demandez-leur, au nom de l’amitié qu’ils vous portent, de comprendre que vous devez être disponibles à tous pour cette charge spirituelle que Notre-Seigneur vous à confiée. S’ils se montrent alors moins charitables à votre égard, et font mine de se détacher de vous, c’est que leur amitié est trop humaine et trop possessive. Priez alors Notre Seigneur d’éclairer leur cœur de sentiments profonds et vrais, exempts de toute forme d’amour-propre et d’égoïsme.

Allez, mes enfants, vers les pauvres, ceux dont l’âme est en train de mourir, étouffée dans les rets du matérialisme et de la science des hommes, et laissez Notre-Seigneur guider votre cœur. Soyez des témoins vivants de l’amour de Dieu et de la charité, et restez inébranlables dans le bien. Ne vous laissez pas décourager par les attaques et les critiques d’où qu’elles proviennent. Au contraire, grâce à ceux qui vous blessent, efforcez-vous d’acquérir une sainte répulsion pour tout manquement à la charité, et une sainte ardeur à pratiquer cette si belle vertu à chaque instant de votre vie.

Et, pour terminer, laissez-moi vous interroger. Qu’y a-t-il de plus grave : manquer à la vertu de charité de son plein gré, ou bien y manquer sans s’en rendre compte ? Sachez, mes enfants, que l’aveuglement est souvent la grave conséquence d’une trop haute estime de soi. Suppliez donc Notre-Seigneur de toujours vous garder dans la véritable humilité, et de vous faire ressentir chacun de vos manquements à la vertu de charité, afin que vous puissiez en demander pardon à votre prochain et vous en confesser.

Que ceux qui se croient dans une voie de sainteté simplement parce qu’ils se confectionnent un abondant palmarès de rosaires, de messes et de bonnes œuvres prennent garde ! Leurs confessions sont souvent fort scrupuleuses, mais ils n’y accusent point l’essentiel. Qu’ils demandent à Notre-Seigneur la grâce de leur faire connaître, par quelque événement et à travers la direction spirituelle, chacun de leurs manquements à la vertu de charité. Alors, leurs yeux s’ouvriront et ils connaîtront la véritable humilité.

Que Notre-Seigneur vous bénisse, mes chers enfants. Que sa très sainte Mère vous comble de sa maternelle affection ; et moi, je vous bénis au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

+ François de Sales, prêtre