Message du 4 août 1999





(Fête du saint Curé d’Ars)

Mes frères,

L’homme ne peut rien faire de bon sans le Bon Dieu. Non, rien de bon ! Il joue les apprentis sorciers, se croît très fort, mais tout cela ne pourra durer qu’un temps, car ne subsistera dans l’Éternité que ce qui est marqué du sceau de l’Éternité.

La vie de l’homme sur cette Terre est comme la traversée d’un désert : si l’homme ne se munit pas de tout ce qui lui est nécessaire à ce voyage, et s’il s’égare du chemin qui lui a été indiqué, il risque de se perdre. Regardez les animaux des sables : ils ont le sens de l’orientation. Sans doute est-ce leur instinct, mais eux, ils savent où ils vont. Et le chameau et le dromadaire accumulent même assez d’eau pour pouvoir se rendre d’une étape à une autre sans avoir à souffrir de la soif.

L’homme, mes frères, qui est censé être bien plus intelligent que ces bêtes, a pourtant tendance à accumuler, sur cette Terre, bien des choses inutiles au détriment de l’essentiel ; bien des choses qui ne servent qu’à son confort personnel au détriment de l’indispensable petite boussole qui seule peut lui indiquer le sens de la vie. Cette boussole, mes amis – vous l’avez compris – c’est le Bon Dieu !

L’homme a aussi tendance à se laisser griser par un alcool délétère : celui des plaisirs matériels, qui le font accéder à des paradis artificiels, mais qui, une fois l’effet passé, laisse dans son gosier une grande amertume. Ah ! s’il se désaltérait plutôt, cet homme, à la Source d’Eau vive, et s’il faisait provision de cette eau comme le chameau et le dromadaire pour traverser sans souci le désert de la vie, combien il serait heureux, à son heure dernière, d’avoir fait le bon choix ! Mais au lieu de cela, il se grise, il se grise et il meurt, et sa fortune est dilapidée par des héritiers trop gloutons. Buvez donc, mes frères, à la Source d’Eau vive, celle qui jaillit du Cœur de notre Seigneur Jésus-Christ, et vous aurez vous aussi la vie. Sans lui, rien n’est possible si ce n’est les choses factices et périssables, mais par lui, avec lui et en lui, tout le devient, jusqu’à l’inconcevable.

C’est pourquoi, mes frères, si vous ne traversez pas le désert de votre pauvre vie armés de cette précieuse boussole qu’est le Bon Dieu, et si vous ne buvez pas régulièrement à cette source d’Eau vive qu’est son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, vous vous égarerez et vous mourrez. Car les nombreux panneaux qui, naguère, jalonnaient encore le parcours pour indiquer le chemin du Ciel se voient aujourd’hui arrachés ou disparaissent au milieu d’autres panneaux, plus gros, plus voyants ou semblant indiquer des directions plus séduisantes.

Mes frères, il vous faut chercher Dieu, et il vous faut le chercher inlassablement, sans vous décourager. Il vous faut vous nourrir de l’Évangile et de la prière afin de rencontrer réellement et intimement Notre-Seigneur. Pensez à lui souvent, parlez-lui avec votre cœur comme on parle à un frère aîné et invitez-le à participer à votre vie, afin qu’il y soit le moteur de vos pensées, de vos paroles et de vos actions.

Combien en est-il parmi vous, qui, en dehors de la messe dominicale, se plongent régulièrement dans la Parole de Dieu, s’en abreuvent, s’en imprègnent, s’en délectent, et l’absorbent comme leur pain quotidien, comme un blé qui les nourrit, qui les comble, qui les rassasie et qui, semé dans cette terre raisonnable qu’est l’esprit humain, leur permet d’affronter, dans la confiance et dans la paix, les difficultés inhérentes à la vie de tous les jours ? Combien en est-il parmi vous qui croient réellement que le Bon Dieu est présent dans ce tabernacle, et qui, de temps à autre, en semaine, en rentrant des courses ou du travail, viennent s’agenouiller au pied de son autel ? Combien en est-il parmi vous qui, devant le tabernacle, ont conscience qu’à peine un millimètre les sépare du Maître du Monde, du Maître de la Vie, de celui qui est le seul à pouvoir guider les hommes jusque sur l’Autre rive, où brille, comme un joyau, le Royaume d’amour destiné aux pauvres en esprit, aux doux, aux affligés, à ceux qui ont faim et soif de la justice, aux miséricordieux, aux cœurs purs, aux artisans de paix (cf. Mt 5, 3-12) ?

Ah ! mes enfants ! C’est tout cela que vous devez vous efforcer d’être pour pénétrer un jour dans ce Royaume avec la candeur des tout-petits ! C’est tout cela que vous devez vous efforcer d’être pour acquérir la paix de Dieu, et c’est aussi tout cela que cette paix vous apportera si vous entretenez votre âme comme un bon jardinier entretient son jardin. Cette paix, mes frères, à moins qu’elle ne vous soit donnée par une grâce toute spéciale du Bon Dieu, ne peut s’acquérir que par la prière et l’oraison, par la méditation quotidienne de la Parole de Dieu et par la pratique d’une inlassable charité. Car elle est la vie même de Dieu au plus profond de l’âme humaine, de l’âme saisie par Dieu comme une viande tendre dont les blessures sont cautérisées au feu de son amour.

Quel amour que l’amour du Bon Dieu ! Un amour qui a voulu venir dans une chair mortelle, dénaturée par le Péché, pour la rendre immortelle et la diviniser, pour lui permettre, par la foi et la charité, d’être transfigurée. Un amour purificateur qui, dans le sacrement de Confession, brûle de son feu bienfaisant toutes les scories présentes en l’homme et emplit de sa pénétrante lumière tous les coins d’ombre de son âme. Un amour, enfin, qui, dans la sainte communion se manifeste si pleinement qu’il fait de l’homme un autre Christ en instillant dans ses veines le Sang même du Sauveur.

Mes frères, le Bon Dieu, ne vous demande pas de faire de grandes études pour devenir des saints. Il vous demande de l’aimer et de suivre l’enseignement de son Église. Il ne vous demande pas de devenir des terrassiers pour déplacer les montagnes. Il vous demande d’avoir une foi sincère et authentique dans sa Toute-puissance. Mais attention ! un grand danger guette l’homme d’aujourd’hui, un danger de mort pour son âme et pour celle de ses frères : la séduction qu’exercent sur les âmes ces prétendus savants qui méprisent la foi au profit des démonstrations humaines, et qui exaltent tellement la nature humaine de Notre-Seigneur qu’ils en font oublier sa nature divine. Ah ! mes frères, si les perles de leurs connaissances étaient liées ensemble par le cordon de l’amour, de la simplicité et de l’obéissance à l’Église pour briller sur leur poitrine en un collier de sagesse, le seul éclat de ces perles percerait les ténèbres de l’incroyance et conduirait les foules au Ciel.

Si le brouet de leur érudition était lié par une succulente sauce de charité, de zèle apostolique et de conversion des pécheurs, eh bien, mes frères, cette érudition ne sonnerait plus comme des cymbales, elle retentirait avec la force de la trompette, l’harmonie de l’orgue et la douceur de la flûte et pénétrerait au plus profond des cœurs de ceux qui ne croient pas. Car l’érudition sans dimension surnaturelle est comme un jardin desséché où les arbres ne grandissent pas : seule une bonne pluie d’humilité peut le faire reverdir !

Mes frères, vivez de la foi, de cette vérité que Notre Seigneur a révélée et qu’il continue d’enseigner par son Église catholique, lui qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper. Vivez de ce don de Dieu dispensé à l’homme pour le sauver du Péché et de la mort ; de ce don qui peut changer les cœurs de pierre en cœurs de chair et apprendre aux hommes à aimer Dieu en esprit et en vérité. Vivez de la foi, qui communique aux hommes la charité et toute la force dont ils ont besoin dans le combat contre les tentations du monde. De la foi, enfin, qui ouvre le cœur des hommes sur le Monde Céleste et transporte leur âme au-delà des réalités visibles pour leur faire désirer celles qui sont invisibles.

Pensez aussi, mes frères, aux beautés du Royaume. Pensez aux saints et aux anges qui, en fidèles serviteurs de Dieu, se pressent auprès de vous pour répondre à vos prières et vous aider dans votre pèlerinage terrestre. Priez-les de vous aider à toujours grandir dans la perfection. Et ouvrez votre cœur tout grand à la Sainte Vierge, cette Mère si bonne et si parfaite, afin qu’elle vous enseigne à faire de votre vie un splendide bouquet spirituel qu’elle puisse déposer entre les bras de son divin Fils. N’hésitez jamais, mes frères, à solliciter des grâces et à vous réfugier sous son manteau quand gronde le tonnerre, car avec elle, aucun mal ne saurait vous atteindre. Et sollicitez ses prières maintenant et à l’heure de votre mort.

Si vous avez, mes frères, fait provision d’Eau vive, vous pourrez rejoindre votre nouvelle étape comme les chameaux et les dromadaires du désert sans souffrir de la soif, et parviendrez un jour au Ciel. Alors, vos yeux spirituels s’ouvriront et vous serez comblés.

C’est tout ce que je vous souhaite !

+ Jean-Marie Vianney, prêtre