Sermon du 25 décembre 1998





SERMON DE NOËL
(Inspiré au messager pour une paroisse)

Mes frères,

Ce soir, c’est Noël, et ici comme dans la plupart de nos paroisses, les fidèles ont fait une crèche en souvenir de la naissance du Seigneur : on y trouve l’Enfant, Marie, sa Mère, et Joseph, ainsi qu’un âne et un bœuf. Pourtant, aucun détail ne nous est donné sur ce point dans les Évangiles dits canoniques – c’est-à-dire ceux qui ont été reconnus par l’Église. Pas plus saint Matthieu que saint Marc ou saint Jean n’en parlent, et saint Luc nous dit seulement : « Marie enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche » (Lc 2, 7). Une crèche, c’est une mangeoire pour bestiaux.

C’est dans un évangile apocryphe, écrit en latin vers le 6e siècle, que nous est racontée cette naissance miraculeuse. Voici ce qui est dit au sujet de la crèche :

« Marie […] déposa l’enfant dans une crèche, et le bœuf et l’âne, fléchissant les genoux, adorèrent celui-ci. Alors furent accomplies les paroles du prophète Isaïe, disant : « Le bœuf a connu son propriétaire, et l’âne, la crèche de son maître » (Is 1,3), et ces animaux, tout en l’entourant, l’adoraient sans cesse […] » (Écrits apocryphes chrétiens, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, 1997, p.134).

Ces précisions étonnantes amuseront sans doute les enfants, mais elles n’ont que peu d’importance. En revanche, le fait même que l’Enfant-Dieu ait été déposé dans une mangeoire ouvre sans doute la porte à une interprétation des plus intéressantes : la nourriture déposée dans une mangeoire s’offre, en effet, à l’appétit de bêtes de somme qui, gagnant en force et en vigueur, permettent à l’homme d’accomplir des œuvres qu’il ne pourrait jamais accomplir par lui-même.

Eh bien, mes frères, pensons à présent à l’Enfant de la Crèche : choisissant librement d’embrasser notre condition d’homme, il s’offre à son Père pour racheter la faute originelle, et, en cela, sa nudité et son impuissance ne sont pas sans annoncer déjà le sacrifice de la Croix. Mais aussi, il s’offre, dans la mangeoire, à l’appétit spirituel de l’homme, ce qui n’est pas sans annoncer déjà l’autel, la table eucharistique, où se réactualisera tout à la fois sa passion, sa mort et sa Résurrection. D’ailleurs, le grec « φάτνη », qui veut dire « mangeoire » ou « crèche », signifie aussi, par extension, « table ». Nous y voilà  ! Toute l’histoire de la Rédemption peut donc se donner à lire dans cet immense mystère qu’est celui de Jésus déposé dans la crèche.

Mes frères, même si tout cela dépasse notre entendement, nous devons le croire : un Enfant est venu au monde pour nous délivrer du Péché, et cet Enfant, c’est Dieu lui-même, qui se donne en nourriture aux hommes. Mais attention ! il y a deux erreurs à ne pas commettre : la première serait de croire que cette nourriture est un simple symbole, une image ; et la seconde de croire, au contraire, qu’en mangeant le Corps du Christ, nous portons atteinte à son intégrité. En fait, en tant que chrétiens, nous sommes en Dieu comme un enfant est dans le sein de sa mère avant sa naissance, et, en nous nourrissant de l’Eucharistie, nous nous nourrissons concrètement de lui tout comme le fœtus se nourrit concrètement de sa mère sans pour autant lui porter préjudice.

« Tous les êtres de la création ont besoin de se nourrir pour vivre, disait le saint Curé d’Ars […]. Lorsque Dieu voulut donner une nourriture à notre âme pour la soutenir dans le pèlerinage de la vie, il promena ses regards sur la création et ne trouva rien qui fût digne d’elle. Alors, il se replia sur lui-même et résolut de se donner… » (1)

Voilà, mes frères, tout le mystère de Noël ! Et Dieu nous offre cette manne en même temps que sa Parole pour nous faire grandir en sainteté et se faire connaître à nous. C’est pourquoi, mes frères, si nous passons notre temps à nous imprégner des choses du monde sans jamais nourrir notre âme de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, il nous devient impossible de découvrir cette vérité que Dieu en personne est venu révéler aux hommes ! Et si nous nous éloignons des Commandements et de la morale chrétienne sans jamais nous réconcilier avec Dieu et avec notre prochain, il nous devient impossible de découvrir l’amour miséricordieux de Jésus venu pour sauver les hommes.

L’Église, en effet, met à notre disposition ce merveilleux sacrement de la Réconciliation, où s’exprime d’une manière toute particulière l’amour de Dieu pour l’homme, puisque, par la Passion, la mort et la Résurrection de son Fils, tous nos péchés nous sont pardonnés. « Tout fidèle doit confesser au moins une fois par an les péchés graves dont il a conscience », et celui qui pense avoir commis un péché grave ne doit pas recevoir la sainte communion sans avoir reçu l’absolution d’un prêtre, dit le Catéchisme de l’Église catholique. (2)

Accueillie dans un cœur purifié, la nourriture eucharistique fait grandir en l’homme la grâce et lui donne force et courage pour accomplir des œuvres qu’il ne pourrait jamais accomplir par lui-même. C’est pourquoi nous devons toujours avoir le désir de Dieu, le désir d’avancer dans la vie spirituelle en faisant chaque jour de notre mieux, aiguillonné par la grâce divine, moteur de notre foi.

Mes frères, si nous ne demandions pas à Dieu cette force et ce courage, nous nous priverions d’un bien grand secours et resterions toute notre vie empêtrés dans nos problèmes matériels, nos ennuis de travail, nos soucis familiaux, alors qu’avec Dieu, dans la prière, nous trouvons, à coup sûr, de sages solutions. Si nous ne demandions pas à Dieu cette force et ce courage, nous resterions abattus devant le décès de nos proches, devant la maladie ou devant la souffrance, alors qu’en Jésus-Christ, qui est la Résurrection et la Vie, nous sommes comme entre les bras d’un père, d’une mère ou d’un frère, et nous nous trouvons réconfortés et raffermis.

En ce temps de Noël, laissons-nous donc toucher par la grâce et ayons le courage de prendre de bonnes résolutions, de solides engagements et d’y rester fidèles ! Car de même que Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour être la Lumière de l’homme en permanence – et pas seulement au temps de Pâques ou de Noël -, Dieu a, par notre Baptême, fait de nous des fils à temps complet et pas seulement au temps de Pâques ou de Noël. Sinon, elle s’appliquerait aux chrétiens cette triste parole de saint Jean : le Christ « est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1, 11). Elle s’appliquerait aux chrétiens cette redoutable parabole des Invités de la Noce, qui préférèrent s’en aller, l’un à son champ, l’autre à son commerce, ou se rendre à la noce mais sans revêtir la tenue exigée. Nous en connaissons l’issue fatale : « les pleurs et les grincements de dents » (Mt 22, 1-14) ! Alors, mes frères, si nous, qui avons été appelés, souhaitons nous trouver parmi les élus, il ne s’agit pas de nous laisser vivre.

L’accès facile à la corruption morale par le biais des médias, l’incitation à la débauche sur les panneaux publicitaires, le vote de lois amorales, la convoitise grandissante pour les biens matériels, l’impact d’une éducation de plus en plus laïcisée, tout cela n’est pas sans rappeler au chrétien le rôle difficile – voire héroïque – qu’il  doit avoir parmi ses frères.

Si l’homme se laisse séduire par les philosophies orientales ou l’ésotérisme plutôt que d’approfondir sa foi, s’il se laisse entraîner par les sollicitations du monde plutôt que de donner l’exemple, s’il n’a d’affection que pour des idoles du sport ou du spectacle plutôt que pour le Christ, qui lui demande d’évangéliser ses frères, alors, nous pouvons nous demander à juste titre si lorsque ce même Christ viendra, il trouvera encore la foi sur la Terre (cf. Lc 18, 8).

Mes frères, gardons courage et ne soyons pas des tièdes ! Armons-nous d’une spiritualité authentique, nourrissons-nous de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, prions la Sainte Vierge et les saints que nous aimons, et donnons l’exemple de chrétiens solides et dignes de ce nom ! Qu’importe si nous devons souffrir pour être avec Jésus puisqu’il y va de notre Éternité. Que la joie de ce Noël, dans le Ciel et sur la Terre, nous y aide efficacement. Joyeux Noël à tous, mes frères !

Amen.

(1) Jean-Marie-Baptiste Vianney, Curé d’Ars, Pensées, DDB, 1981).

(2) Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 1457.