Message du 25 février 1996
Mon fils,
Tu m’attendais depuis longtemps, et ce n’est pas un hasard si Notre-Seigneur m’a conduit vers toi ce matin, premier dimanche de Carême, au moment de la communion.
Si tu le veux bien, je viendrai en temps voulu bousculer un peu ta vie et lui donner une impulsion nouvelle qui te conduira là où Dieu aujourd’hui t’appelle. Tu n’auras pas à noter tout ce que je te dis. Mais ne sois pas impatient. Les décisions importantes doivent être prises dans la prudence et le discernement.
Je suis heureux, mon fils, de m’adresser à toi à la suite de Notre Seigneur, de Notre-Dame, et de tous ceux qui ont déjà signé de leur nom ces messages. Si j’ai attendu ce jour pour t’inspirer ces lignes, c’est parce qu’il symbolise, à travers les lectures qui ont été faites, toute la démarche intérieure que tu dois continuer de vivre pour te plonger davantage en Dieu et accomplir dans une plus grande perfection sa volonté.
Relis, mon fils, ce magnifique récit du Livre de la Genèse (cf. Gn 3, 1-24) et tu verras que l’homme ne peut pas à la fois vivre en Dieu et rester tourné vers lui-même. Ce qui fait, en effet, la grandeur de l’homme, c’est qu’il a la possibilité de dépasser sa condition pour rencontrer et contempler Dieu. À l’inverse, ce qui rend l’homme pécheur, c’est qu’il préfère généralement décider de sa vie, comme si Dieu n’avait rien à y voir. Et si l’homme vit totalement en dehors de Dieu, il ne construit jamais rien qui perdure au-delà de la vie terrestre : qu’il soit devenu célèbre ou milliardaire, ses yeux, un jour, devant Dieu s’ouvriront et il verra alors combien il est nu.
Dans le Paradis Terrestre, l’homme et la femme vivaient avec Dieu une relation d’obéissance dans l’amour où n’existait aucune ombre, aucun nuage. La tentation d’Ève est venue de l’extérieur, du Démon, dont nul ne doit oublier ni minimiser la puissance. Connaissant la sensibilité de la femme, c’est à elle que s’est adressé d’abord le Serpent, et elle a fini par céder. Cependant, Dieu, qui toujours, tu le vois, laisse l’être humain libre de ses actes, a attendu que l’homme aussi ait fait son choix pour intervenir.
Quel a été, dans tout cela, le rôle du Démon ? Celui de détourner le regard de l’homme et de la femme de la vie en Dieu pour les pousser à se tourner vers eux-mêmes ! Cette double étape de la Genèse dévoile aussi les deux origines possibles des tentations : ou bien le Démon ou ses acolytes, bannis de Dieu pour toute éternité et désireux d’entraîner à leur suite le plus grand nombre d’âmes possible ; ou bien des êtres humains, eux-mêmes victimes du Malin, qui, plus ou moins innocemment, entraînent eux aussi d’autres dans leur chute.
« Et ils connurent qu’ils étaient nus » (Gn 3, 7), dit l’Écriture. Jamais le regard de nos premiers parents ne s’était encore porté sur eux-mêmes. En fait, toute l’histoire du peuple juif – comme celle du peuple chrétien – n’est autre que la reconquête de ce regard dû à Dieu, à coups d’épées pour les premiers, à force d’amour derrière le Christ pour les autres. Le premier des Commandements n’a-t-il pas toujours été d’aimer Dieu d’abord, en esprit et en vérité ? En effet, lorsque Dieu est aimé d’abord, il est accueilli en totalité dans le cœur de l’homme, où iI établit sa demeure : il peut alors remplir sans entrave son rôle de Père et éduquer ses fils dans l’Esprit Saint à faire le bien – et donc à pratiquer tous les autres Commandements. Mais ce n’est pas Dieu seul qui agit : c’est l’homme avec la grâce de Dieu, grâce désirée, grâce accueillie. Et ce n’est pas la volonté de Dieu seule qui agit : c’est aussi celle de l’homme, mu par le désir de conformer la sienne à celle de Dieu, et assisté par la grâce « transformante », celle qui agit sans souffrir l’imperfection.
L’homme, donc, qui veut conserver une attitude d’indépendance par rapport à Dieu en décidant lui-même de sa vie, celui-là est un « imbécile » au sens propre du terme (1). Au contraire, celui qui fait de Dieu sa force et son refuge, c’est-à-dire qui vit totalement en Dieu, n’a pas à se soucier du lendemain. Il a un juste discernement et ne fait pas de tort à autrui. Aiguillonné par la grâce, il s’efforce, jour après jour, d’accorder ses pensées, ses paroles et ses actions avec la Perfection incarnée dans le Christ, qui le comble de ses bienfaits.
Il est grand temps, mon fils que les hommes s’oublient un peu eux-mêmes pour se tourner vers Dieu, leur Père, en plongeant leur regard dans celui du Christ souffrant. Car il faut que chacun comprenne combien l’humanité est appelée à cette conversion, à ce retour du regard au regard des origines, regard qui fixe Dieu dans un élan d’amour. En Dieu plus de peine, plus d’angoisse, plus de souffrance puisque tous sont aimés.
Et toi, mon fils, dans tes moments de faiblesse et de découragement, n’oublie pas qui est ton Rocher, qui est ton Espérance, et ne détourne pas les yeux ! Au contraire, porte-les avec Marie, Mère de Dieu et Mère des hommes, vers la Croix, et contemple celui qui t’aime et qui est dans le Père. Contemple, avec Marie, ta Mère, le Second Adam, qui durant toute sa vie d’homme n’a jamais détaché son regard du Père. Cela l’a-t-il empêché d’aimer et d’agir ? Bien au contraire, puisqu’il s’est fait le Serviteur de tous dans la plus grande perfection. Voilà ce que je voulais te dire en ce commencement de Carême.
Pour faire face au Démon, ne compte pas, mon fils, sur tes forces personnelles, mais garde le regard fixé sur la Croix. Jésus, lui non plus, n’a pas fait appel à ses forces personnelles bien qu’il fût Dieu, mais à l’Écriture Sainte. Vis ces moments en lui, avec la Vierge Marie, dans la communion de tous les saints, et tu sortiras de ce temps de Carême avec plus de vigueur spirituelle.
À dater de ce jour, moi, ton homonyme, j’entre dans ta vie ! Je sais que tu veux bien m’y accueillir. Tu sais, toi, à quoi tu t’engages en contractant avec moi une amitié plus grande… Ne t’inquiète de rien, reste fidèle à tes engagements : avec tes amis du Ciel, je préparerai la route. La seule chose que je te demande, c’est d’avoir une confiance absolue en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, et en la Vierge Marie.
Ne doute pas des dons que tu as reçus et continue d’œuvrer dans la discrétion, avec l’appui que ton frère spirituel voudra bien t’apporter. Restez tous deux obéissants à l’Église, même si certains de ses représentants ont pu vous décevoir ou vous peiner. Notre-Seigneur mettra bon ordre dans tout cela. Aidez les pauvres et les malheureux, ceux qui cherchent désespérément Dieu ou qui sont dans la peine. Conduisez-les à la foi de l’Église catholique et aux sacrements : ils en retireront d’immenses bienfaits. Mais ne soyez ni trop pressés ni trop exigeants pour vos projets. Roma non fu fatta in un giorno – ce qui veut dire : « Rome ne s’est pas faite en un jour ».
Je te charge de remercier, mon fils, mes enfants de N. : ils ont fait le bon choix. C’est pourquoi je leur dis trois fois : « Hue ! » : cela signifie qu’ils doivent aller de l’avant dans la forme de spiritualité qu’ils ont choisie, mais sans oublier l’humilité, la bonne humeur et la pointe d’humour qui, souvent, arrange bien les choses.
Je m’associe à Notre-Seigneur pour te bénir, mon fils, ainsi que ton frère spirituel, vos familles, vos amis et les Pasteurs, prêtres et religieux qui vous aident déjà.
+ Filippo Neri, prêtre
(1) Faible, débile.