Message du 4 août 1994
(Fête du saint Curé d’Ars)
Mes frères,
La première chose à laquelle le Bon Dieu nous appelle dans notre vie, c’est à l’aimer et à aimer notre prochain. Si nous ne l’aimons pas d’abord, lui, le Créateur, l’amour que nous portons aux êtres et aux choses restera toujours égoïste et éphémère. Et le Bon Dieu ne veut pas que soyons comme ces hypocrites qui clament à la cantonade qu’ils aiment les autres alors qu’ils ramènent sans cesse tout à eux-mêmes ! Si nous aimons d’abord le Bon Dieu, mes frères, il mettra d’abord dans notre cœur l’altruisme et la compassion, la douceur et la charité.
Je m’en vais vous dire quel est le plus gros péché de l’homme : c’est celui de toujours vouloir faire passer sa petite personne en premier. N’est-ce pas, en effet, ce que vous faites lorsque vous imposez aux autres votre présence, votre volonté, vos goûts, sans y avoir été invités ? lorsque vous faites subir aux autres les désagréments d’un caractère difficile ? lorsque vous désertez le foyer conjugal au profit des amis, du sport, de la politique, de l’informatique, d’activités manuelles ou intellectuelles qui occupent tout votre temps ? lorsque vous négligez votre devoir d’état et déshonorez votre famille en succombant aux attraits d’une relation sentimentale alors même que votre épouse veille seule sur les enfants et sur la maison ?
Et que ne faites-vous pas pour vous mettre en valeur, pour briller, parader, vous « faire », comme vous dites, « des relations », et briguer des places importantes ! Et vous autres qui ne pensez qu’à travailler pour gagner plus d’argent et qui négligez votre vie spirituelle en oubliant de prier ou d’assister à la messe dominicale ! Et vous autres encore qui préférez vous fâcher avec votre famille pour de simples questions d’héritage ou d’argent, croyez-vous que le Bon Dieu approuve ces façons d’agir ?
Vous péchez, mes frères, par orgueil et par convoitise, vous faites le malheur de votre âme, celui de vos proches, et vous peinez le Bon Dieu ! Car croyez-vous qu’il soit dupe ? Il voit bien que vous n’êtes pas à la recherche de son Royaume sur la Terre mais du vôtre, et que vous avez peu d’amour pour lui, et peu d’amour pour vos frères et pour votre famille.
À rechercher sans cesse l’importance, la popularité, la puissance, vous serez, mes frères, comme ces girafes qui ont un grand cou pour pouvoir manger mais qui ont bien du mal à se mettre à la portée des autres… Apprenez donc à devenir tout petits, comme le Fils de Dieu lui-même s’est abaissé en épousant la condition humaine. Et que cette petitesse vous pousse à aller plus volontiers vers les autres : un sourire, un geste d’accueil ou de partage, une parole aimable, tout cela est si important pour témoigner de la présence de Dieu en vous.
Sachez, mes frères, vous oublier vous-mêmes, et aimer le Bon Dieu en conservant à toute heure du jour une pensée pour lui ; alors, vous grandirez en charité. Lorsque vous avez des décisions à prendre, ne soyez ni impulsifs ni aveuglés par l’appât du gain ou de quelque avantage, mais demandez-vous toujours comment Jésus, le Fils de Dieu eût agi, dans sa parfaite sagesse, lorsqu’il était sur cette Terre, et montrez envers tous une immense charité. Ainsi vous œuvrerez avec sagesse et ne vous ne ferez point les esclaves de vos sens et de vos ambitions déplacées.
Méfiez-vous des impressions que vous nourrissez sur votre propre personne, car qui croit être charitable ne l’est bien souvent qu’à ses heures, et qui croit être saint ne fait que se bercer d’illusions. Ne vous apitoyez point non plus sans cesse sur vous-mêmes, sur votre pauvre vie, vos pauvres moyens, votre santé fragile, mais daignez vous tourner aussi vers les autres, vers ceux qui souffrent en silence, et prendre le temps de les écouter. Alors, vous verrez que les plus éprouvés sont bien souvent ceux qui se plaignent le moins…
Vous siérait-il de vivre aujourd’hui dans un pays en guerre où sont perpétrés, à chaque minute, des massacres d’innocents ? où les uns voient leurs uniques biens incendiés et les autres leurs parents ou leurs enfants tués sous leurs yeux ? où d’autres encore se tordent de douleur, atteints d’épidémies mortelles, de retombées radioactives, ou se voient amputés d’un bras et ou d’une jambe pour le temps qu’il leur reste à vivre ? Vous voyez, mes frères, ce qui aurait pu leur rester d’orgueil est d’un coup réduit à néant par la force des choses. Et que leur reste-t-il ? La plupart du temps, rien, sinon la vie et la certitude que, malgré toutes leurs épreuves physiques et morales, le Bon Dieu est toujours là et ne les abandonne pas.
Mais, me direz-vous, pourquoi ne fait-il rien pour remédier à toute cette souffrance ? Et d’autres ajouteront que s’il existait vraiment, il ne permettrait pas cela. Ah ! mes frères, c’est un bien grand mystère ! Comme est un mystère le fait que le Bon Dieu lui-même soit venu dans la chair pour y être flagellé, couronné d’épines et cruellement cloué au gibet d’une croix pour nous racheter ! Il était innocent, vous savez, et pourtant, il a donné sa vie. Mais après sa terrible agonie, il est ressuscité des morts, et cela, nous ne devons pas l’oublier !
Alors, mes frères, prions, prions pour tous ceux qui sont sauvagement massacrés dans les pays en guerre, et croyons qu’après ces terribles souffrances, le Bon Dieu daignera se pencher sur toutes ces malheureuses âmes qui peut-être n’auraient pas été sauvées, mais qui, grâce à nos suppliques, seront accueillies, comme les saints innocents, dans son Ciel de gloire. Prions, et aussi espérons qu’après toutes les atrocités que des hommes subissent aujourd’hui sur la Terre, viendra une ère d’unité et de paix où l’on saura aimer d’abord le Bon Dieu, et où l’esprit de domination des hommes disparaîtra au profit d’une belle fraternité.
Ne vous chamaillez pas non plus, mes frères, au sujet des choses religieuses et spirituelles. Chacun aime tellement à défendre sa position en matière de liturgie, de dogme, de croyance, mais une fois encore, personne ne cherche à savoir ce qui sied au Bon Dieu. Si vous aimez le Bon Dieu, vous devez aimer son Église, et si vous aimez son Église, vous devez défendre, en vaillants soldats du Christ, son chef, le pape Jean-Paul II, et suivre avec obéissance tous les bons conseils qu’il prodigue à son troupeau à travers les évêques et les prêtres. Malheureusement, ce qui désarçonne, en ces temps, les chrétiens, c’est le manque d’unité entre eux au sein même de l’Église catholique.
C’est pourquoi il est indispensable que tous se rangent derrière le pape, et que nul ne l’attaque en défendant de prétendus droits de décider de ce qui est « péché » et de ce qui ne l’est point, de disposer de son corps, de sa vie et même de celle de vieillards ou de bébés innocents comme bon leur semble !
Frères, l’heure est grave : les charniers d’Afrique et de Yougoslavie font frémir d’horreur toute la planète, mais qu’en est-il des montagnes de fœtus avortés qui pourraient chaque année être constituées dans notre propre pays ? Quel malheur, quel grand malheur qu’au sein même de la Fille aînée de l’Église, on ne respecte plus la vie et on aime si peu le Bon Dieu !
Malgré tout, l’Église, notre Mère, rappelle à tous ses enfants à travers son Catéchisme, (1) tout son enseignement. Et le pape rappelle à tous les Pasteurs de l’Église, à tous les prêtres, et à tous les hommes, les grandes orientations de la vie morale à la lumière de l’immuable vérité de l’enseignement de Notre-Seigneur : la loi morale est la même pour tous, même si certains en doutent ! Et il n’est pas de « péché » pour les uns qui soit acceptable pour les autres.
Efforcez-vous donc, mes frères, de toujours respecter la loi morale par amour pour Notre-Seigneur, de confesser souvent vos péchés à un prêtre, et de ne pas recevoir l’Eucharistie sans être dans une situation régulière vis-à-vis de l’Église, et vous y être préalablement préparés. Ne créez pas de dissonances, de coupures, de cassures, de désordre par votre désobéissance. Ne vous forgez point votre loi morale personnelle, et restez tous unis dans une même foi au même Dieu et Sauveur Jésus-Christ autour d’un même chef : le pape !
Vous voyez déjà, mes frères, les dégâts opérés dans les familles désunies, où les enfants sont ballottés à droite et à gauche au gré de leurs parents séparés. Il ne doit pas en être ainsi dans notre grande famille qui se nomme l’Église, car, à travers la communion des saints, le moindre manquement à l’unité du Corps fait souffrir le Corps tout entier.
Ah ! mes frères, si chacun prenait au sérieux son rôle de chrétien comme d’aucuns se donnent entièrement à un parti politique, par exemple, et si chacun aimait le Bon Dieu et le défendait avec autant de zèle qu’on aime à défendre ses propres idées, alors, les églises seraient remplies de bons chrétiens, droits, justes, dévoués et obéissants et la France connaîtrait un regain de spiritualité, de vocations, et de sainteté.
Mais les lois des hommes ne sont point toujours identiques aux lois de Dieu. La conception chrétienne de la liberté et de la tolérance en est un bon exemple. Vous connaissez sans doute l’histoire de la liberté humaine. C’est ce que le Bon Dieu a donné à l’homme de plus cher. Mais après la Chute, l’homme a continué d’en mal user et il y a eu le Déluge. Alors, le Bon Dieu a assorti cette liberté d’une Loi, et l’homme, librement, a appris à se plier à la Loi. Mais voyant que chez l’homme le cœur s’étiolait, le Bon Dieu lui a envoyé son Fils, qui lui a appris à aimer et qui est mort sur une croix pour le délivrer du Péché et lui ouvrir les portes du Ciel.
C’est pourquoi être libre, pour un chrétien, c’est d’abord aimer le Bon Dieu, et, assisté de sa grâce, s’extraire volontairement de l’esclavage du Péché par la prière, l’oraison, la vie sacramentelle, et même le jeûne. Et vous savez que vous pouvez jeûner non seulement de nourriture mais aussi de certaines habitudes comme la télévision par exemple. Être libre, pour un chrétien, c’est se faire l’esclave de Dieu après avoir reconnu sans réticence que tout ce que Dieu veut, il le veut pour le bien de l’homme. Et si quelque défaillance se produit, mes frères, c’est de choisir encore librement de revenir vers Dieu en sollicitant auprès d’un prêtre son pardon dans le sacrement de Confession. Car, aussi égarés que vous ayez été, le Bon Dieu vous tendra toujours la main si vous lui demandez son pardon avec sincérité et lui promettez de tout mettre en œuvre pour ne plus vous perdre dans les mêmes travers.
Et les prêtres, mes frères ! Si vous saviez combien le Bon Dieu affectionne les prêtres et combien leur rôle est grand ! Il y a bientôt deux mille ans, Dieu s’est donné au monde par la Sainte Vierge Marie pour se faire connaître et pour se faire aimer des hommes. Eh bien, depuis ce temps-là, c’est par ses prêtres qu’il continue de se donner, chaque jour, sur les autels, pour que vous le mangiez, et que vos cœurs, lavés de leurs souillures, se rassasient de cette céleste manne et puisent en elle leur force pour lutter et aimer davantage ! Voilà, mes frères, quelle est la liberté du chrétien : c’est la liberté de l’amour.
Cependant, il est, vous le savez, des limites à ne point dépasser : les infractions aux Commandements, à la morale, les confessions sans passer par le prêtre, les communions sacrilèges ou indignes, les liturgies tronquées, les interprétations abusives de la Parole de Dieu, les enseignements sauvages qui ne sont point dans la ligne de Rome, tout cela outrepasse une belle et saine liberté, tout cela déroute les chrétiens et les désunit.
Quant à la tolérance, mes frères, c’est, pour un chrétien, admettre que les autres puissent être différents de lui-même, dans le domaine physique, intellectuel mais aussi dans celui de la foi. Même si cela le rend triste, le fait souffrir et excite son zèle à vouloir les convertir. Être tolérant, c’est chercher avant tout, chez des frères de races différentes, de langues différentes, de confessions différentes, non pas la moindre divergence mais les points communs, les idées partagées ; c’est être accueillant et veiller d’abord à la bonne entente et à l’unité, dans le respect des lois humaines les plus élémentaires.
Que toutes les grandes religions et philosophies s’accordent pour lutter ensemble contre la violence, l’aliénation, la dictature, la corruption ne constitue en rien une infraction à la catholicité mais représente, sans aucun doute, une première manifestation de cette tolérance que devrait montrer tout chrétien. Cependant, il est, mes frères, des limites à ne point dépasser : tolérer que d’autres religions ou philosophies viennent piétiner ou moquer la foi catholique, démolir son Credo, manquer de respect envers le Bon Dieu dans son Eucharistie et séduire sournoisement les chrétiens pour les détourner des vérités enseignées par l’Église depuis des siècles, voilà qui outrepasse les limites d’une saine tolérance et ne saurait être acceptable pour aucun bon chrétien.
Pour terminer, mes frères, n’oubliez point d’agir toujours avec mesure, bon sens et réflexion. Menez une vie équilibrée et, outre La Sainte Bible, faites des lectures spirituelles. Revenez le plus souvent possible au traditionnel examen de conscience, que vous effectuerez non point à la lumière de la haute opinion que vous pouvez avoir de vous-mêmes, mais en demandant d’abord au Bon Dieu de faire grandir dans votre cœur les vertus d’humilité et de charité. Alors, le discernement en matière humaine aussi bien que spirituelle vous deviendra plus facile, et vous n’aurez plus aucune réticence à vous lancer d’un pas assuré sur le chemin de la sainteté.
C’est tout ce que je vous souhaite !
+ Jean-Marie Vianney, prêtre